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« Le paradoxe présent de l’écologie, c’est que sous prétexte de sauver la terre, elle ne sauve que le fondement de ce qui en a fait cet astre désolé »
L’insurrection qui vient, Comité Invisible
(sixième cercle « l’environnement est un défi industriel »)
La question fondamentale de l’écologie n’a jamais été la sauvegarde de la Terre, de la Nature, de la Vie en tant que telle. La planète possède la capacité de se régénérer, de s’autoréguler, de produire de la vie. Elle n’a pas besoin de l’humanité ni des autres espèces pour exister. Si la question de l’écologie se pose aujourd’hui, ce n’est que dans la mesure ou le développement des activités humaines tend vers l’anéantissement d’un certain nombre d’espèces. Cependant, en dehors d’une poignée d’écologistes radicaux affectés par le sort animal et végétal [1], l’écologie politique ne se soucie de la sauvegarde des autres espèces que dans la mesure où leur existence constitue la condition de survie de l’espèce humaine. Ce qu’il s’agit alors, c’est de sauver une catégorie abstraite qu’est l’Humanité. Abstraite parce que dans ce cadre réflexif, l’Humanité est considérée comme une catégorie homogène, indifférenciée. Cette réduction de l’Humain à sa simple dimension mécanique et fonctionnelle est la pirouette héritée de la pensée occidentale, du christianisme au scientisme, qui permet d’isoler les corps et d’envisager la transposition de l’être dans n’importe quelles conditions d’existences, sans lui faire subir de dégât. L'interprétation politique de la théorie de l’évolution darwinienne est une catastrophe envisagée sur le plan humain, dans la mesure où elle fait de l’homme une entité passive, qui évolue dans un milieu sans jamais chercher à interférer sur son monde. A vrai dire, toute évolution des conditions d’existence d’un groupe d’hommes est une destruction de sa forme de vie antérieure, une décomposition de certains de ses rapports. Il est néanmoins nécessaire de distinguer évolution de type volontaire et désirée d’une évolution subie et imposée, notamment en ce qui concerne le plan politique. L’évolution volontaire se pose sur le plan éthique, elle est la détermination d’un groupe à se diriger vers des formes de vie plus en phase avec ses besoins. L’évolution imposée se constitue soit sur le plan matériel, dans le rapport avec la matière, ses nécessitées, ses potentialités, soit sur le plan de la domination politique, et dans ce cas sur le plan moral, c'est-à-dire sur le plan du traitement des corps abstrait des conditions économiques, sociales, culturelles, psychologiques. L’écologie politique tend ainsi aujourd’hui vers un traitement des populations qui implique la possibilité de les abstraire de leur dimension éthique afin de les soumettre à une nouvelle moralité et à un mode de vie contraignant, au nom de prétendues nécessités matérielles, bien qu’il s’agisse, dans le cadre de l’écologie capitaliste, de préserver les intérêts des classes dominantes [2].
I Productivisme et Environnement
Les problèmes fondamentaux de la question écologique sont : le changement climatique, la pollution de l’eau, de l’air, des sols, ainsi que la diminution des ressources énergétiques. Les conséquences de ces problèmes sont la manière dont ils affectent les corps, entraînent leur décomposition. Bien évidemment, pour l’écologie politique, la question est en réalité inversée. Fondamentalement c’est cette décomposition des corps qui est la véritable source des problématiques environnementales, et donc la cause de son existence. Tous ces problèmes ont en commun qu’ils prennent leur source dans l’activité industrielle de production intensive, modèle développé et diffusé par les sociétés Nord Occidentales. La question de l’environnement est indissociable des autres problèmes liés à la société industrielle, et se situe au cœur de la problématique du capitalisme, et de manière plus globale du productivisme [3].
Il n’est à notre avis pas nécessaire de faire un exposé approfondi sur le rapport du capitalisme à l’environnement, tant les recherches abondent à ce sujet [4]. Nous tenons simplement à rappeler que la dynamique fondamentale du capitalisme, l’accroissement constant du taux de profit, impose la production et la consommation de masse, et par conséquent la consommation immodérée (le pillage, le gaspillage, la destruction) des ressources naturelles [5]. Cette dynamique de « destruction créatrice », dont on doit la parenté terminologique à ce cher Schumpeter, ne peut conserver sa dimension productive que dans la mesure où la nature peut encore se régénérer. Dans l’éthique capitaliste, cela signifie que cette dynamique ne reste productive que dans la mesure où il est encore possible de puiser les ressources nécessaires pour pérenniser la création de la valeur, de la marchandise. La question environnementale suppose une autre éthique que celle qui est à la base du capitalisme. Elle en appelle selon nous à un besoin urgent de « communisme ».
On pourrait nous rétorquer que le communisme est également un système qui tend vers la consommation immodérée des ressources, qui pollue à outrance, et contribue au réchauffement climatique. Cependant, l’exemple historique du Socialisme Russe [6] ne permet pas selon nous de statuer sur ce propos, et ce pour la raison que la situation de coexistence pacifique, de course au progrès, de concurrence Est/Ouest, ressemble davantage à une situation de type capitaliste que communiste. Pour notre part, nous estimons que si le capitalisme, du fait de sa dynamique fondamentale ne peut être que productiviste, a contrario, la question du communisme est ambivalente [7]. Le communisme envisagé exclusivement au niveau socioéconomique peut tendre vers le productiviste, tandis que considéré dans une configuration sociale et environnementale, il est possible d’envisager une limitation de la production matérielle à la stricte nécessité, et ce dans une configuration plus égalitaire.
Ainsi, si le capitalisme est indissociable du productivisme, il n’en va pas de même pour le communisme. Le communisme véritable implique en effet, dans la théorie Marxienne, une capacité des sociétés humaines à prendre en compte les limites de leur milieu, afin de se développer dans une configuration de préservation mutuelle. Cependant, la possibilité de réalisation du communisme, au sens où Marx l’entendait, ne se limite pas à l’égalité socio-économique et la préservation environnementale. Il implique l’autonomie des hommes ainsi que la sortie du travail aliéné, la diminution du « règne de la nécessité ». Or le développement d’un gigantesque complexe technoscientifique que suppose aujourd’hui l’impératif environnemental risque fort de renforcer la nécessité du travail aliéné et de rendre impossible toute autonomie humaine [8].
II Progrès Technique et Environnement
Reconnaissance du risque et impératif technoscientifique :
Le problème actuel de la politique gestionnaire, de l’anarchisme [9] au fascisme, consiste en un consensus admis autour de la reconnaissance d’un risque systémique, dont l’unique réponse constitue un appel à l’accroissement du complexe technoscientifique [10]. Seul un nouveau progrès technique peut nous sauver de la catastrophe provoquée par le progrès technique. Le paradoxe se pose alors en vue du fait que le risque technoscientifique protège et rend nécessaire la dynamique du progrès, et sous tend ainsi la nécessité d’une organisation économique, sociale et culturelle qui puisse l’accueillir [11]. L’impératif du progrès présuppose donc l’absolutisation de la science et de la technologie ainsi qu’une organisation totalitaire de la société, une subordination des besoins humains aux nécessités du complexe technoscientifique.
Vers l’établissement d’une nouvelle Technocratie
S’ils n’ont pas de hauts revenus et ne possèdent pas de moyens de production, les scientifiques et les techniciens prennent une importance sociale de plus en plus déterminante dans le cadre de la problématique environnementale. Qu’ils travaillent pour le compte des industriels, de l’Etat, du parti, d’associations militantes, ou à leur compte, les techniciens et scientifiques deviennent de plus en plus incontournables. Si l’idéologie ne disparaît pas pour autant, comme on a pu le croire il y a quelques décennies, sa base discursive s’est profondément modifiée. Le discours idéologique se justifie et s’énonce aujourd’hui sur le plan technoscientifique et tout discours qui ne comprend pas cette dimension est immédiatement invalidé. Le degré de technoscientificité est ainsi devenu l’échelon de la valeur de tout discours politique [12]. Scientifiques et techniciens jouissent d’une reconnaissance symbolique indéniable dans la société (qui peut s’accompagner de gratifications matérielles conséquentes) [13]. Ils deviennent un modèle social, culturel et idéologique désirable. Ils sont vecteurs de leurs propres systèmes de normes et valeurs qui sont celles de la science et de la technique, de l’organisation du complexe technoscientifique [14].
L’absolutisme technoscientifique et l’impossibilité de la démocratie
L’exercice du politique se constitue de plus en plus sur une base experte. L’information, le savoir, l’expertise y prennent une place de plus en plus importante. La démocratie ne peut plus exister qu’à l’état formel : il s’exerce toute une propagande en amont de la délibération pour la faire infléchir dans le sens que requiert la technoscience. La démocratie n’a définitivement plus pour fonction que de garantir auprès de la population une illusion de liberté qui masque cette domination experte [15]. La démocratie véritable dans le cadre d’une société technoscientifique supposerait d’une part une scientifisation du politique, comme il a été précédemment expliqué, et d’autre part une modification radicale de la pensée du citoyen. En effet, en fonction de la technicisation et de la scientifisation du discours politique, la réflexion citoyenne et militante doit pouvoir s’appuyer sur un savoir technoscientifique approfondi pour être reconnue comme valide. Ceci implique que pour saisir les enjeux du débat politique et délibérer en connaissance de cause, le citoyen doit nécessairement avoir suivi une formation scientifique approfondie, sans quoi cette délibération est arbitraire et sans valeur au regard des nécessités du système. Ainsi, traiter les problèmes environnementaux de manière démocratique, implique la nécessité de modifier la pensée collective, la culture, en fonction des impératifs de la technoscience, par conséquent de conformer la pensée, l’imaginaire, les affections de chaque citoyen à l’univers technoscientifique. D’une part, ce projet de démocratie prend des airs de totalitarisme, d’autre part, il est irréalisable. En effet, se tenir informé du développement et des avancées des recherches demande beaucoup de temps, ce qui entraîne une colonisation du temps libre par la technoscience, de plus, la délibération démocratique, qui implique une connaissance du monde assez large, est incompatible avec un système fortement spécialisé et fragmenté [16]. Ce qui signifie que soit nous nous soumettons à la domination effective des experts, soit à une domination idéologique et culturelle qui entraîne l’ensemble de la société dans un univers clos se réduisant au monde technoscientifique.
La reconnaissance de risques systémiques est un appel à l’inflation illimitée du contrôle et de la répression
Le concept de risque en sciences est par définition une méthode d’évaluation scientifique qui a pour objet de définir les probabilités d’une catastrophe. Cette méthode contient de ce fait une finalité qui est la gestion, le contrôle, la maîtrise, et l’élimination des risques [17]. Dans le contexte des sociétés industrielles avancées, le risque n’est plus un élément exogène à la société, mais il prend sa source dans la société même [18]. Par conséquent, la gestion des risques environnementaux implique à la fois un contrôle des systèmes productifs, mais également, un contrôle disciplinaire des corps [19], c’est à dire à la fois une surveillance systémique des comportements, un conditionnement psychosocial, et le déploiement d’un ensemble de dispositifs techniques, juridiques et policiers de répression.
Hans Jonas proposait quant à lui d’établir une nouvelle éthique, basée sur le « principe de responsabilité », et qui pourrait se fonder sur une « heuristique de la peur » afin de soumettre le sujet à l’impératif environnemental [20]. Il va sans dire que le discours politique sur la responsabilité constitue une forme de culpabilisation qui contribue à affaiblir la volonté des sujets, les rendants ainsi plus vulnérables et manipulables. La récupération du discours responsabiliste par la droite, comme par les sociaux-libéraux, n’est qu’une manière hypocrite de masquer la responsabilité effective de ceux-là même qui, il y a quelques décennies, incitaient la population à la consommation de masse. Si le « principe de responsabilité » a donné lieu à un certain nombre de pratiques de répression écologique contre les industriels (tels que le principe de pollueur payeur), ou de moralisation contre la population, (discours sur le tri sélectif, l’eau à ne pas laisser couler, les lumières à éteindre), c’est un autre principe qui s’est institué au niveau juridique et légal : le « principe de précaution ». En apparence moins répressif et moralisateur que le « principe de responsabilité », nous soutenons tout de même que ce « principe de précaution » n’en est pas moins un nouveau dispositif dont peuvent potentiellement émerger un ensemble de pratiques répressives. En effet, si ce principe, constitué à la base pour favoriser une certaine réflexivité en ce qui concerne la prise en compte des effets pervers relatifs à l’application de nouvelles technologies, a été invoqué pour justifier un certain nombre de pratiques de désobéissance civile (par exemple les fauchages d’OGM), il peut très bien donner lieu à un ensemble de pratiques policières de types « préventives », à l’instar de celles employées dans le cadre de l’antiterrorisme, et contribuer à justifier l’extension de dispositifs de surveillance et de contrôle comportemental.
Si l’on récapitule attentivement les éléments constituants de ce projet, à savoir: usage de la science à des fins disciplinaires, contrôle des corps, surveillance généralisée, perfectionnement de la police, moralisation et instrumentalisation de la peur constituent les outils indispensables à l’émergence d’un nouveau type fascisme.
Gestion technoscientifique de l’environnement et impératif de rendement
Ce qui se dessine, à droite comme à gauche, dans les perspectives de gestion technoscientifique de la question environnementale, n’est rien d’autre que le maintient d’une tendance spécifique inhérente à la civilisation Occidentale : le principe de rendement [21]. La logique productiviste se transfère de la production illimitée de marchandises à la production illimitée de savoirs scientifiques, de recherches, de technologies, de contrôles, de règlementations juridiques et administratives. Qu’il y ait décroissance ou non du système de production de marchandises, n’empêche alors pas l’accroissement exigé de complexes technoscientifiques. S’il y a décroissance du système productif, alors l’effort social sera concentré sur le développement plus rapide de ce complexe, tandis que si le système persiste et tente de développer de la marchandise verte [22], ce développement sera ralenti, mais il n’en demeurera pas moins que la quantité de travail exigée restera identique. Ce qui veut dire qu’à la répression capitaliste présente, la nécessité de « gagner sa vie », se surajoute une autre répression [23]: la nécessité de restreindre ses déplacements, sa consommation en eau, en énergies, en marchandises. Or la fuite dans la consommation de spectacles marchands constitue la seule source de plaisir tolérée par le capitalisme, la seule compensation concédée à une existence consacrée au labeur et l’administration de son existence. Ainsi, la répression environnementale pourrait très bien retirer le peu de joie compensatrice possible à l’intérieur du capitalisme et donner lieu à une situation potentiellement explosive. Il est par conséquent possible d’envisager que soit l’insatisfaction du désir provoque une exaltation des pulsions destructives, et par conséquent une situation de guerre totale qui entraîne la civilisation vers son anéantissement, ou bien l'entrée dans une ère de répression totale, d’affaiblissement de la volonté des sujets, de dictature fascisme, ou encore que le désir redevienne une puissance de subversion, générant un élan révolutionnaire qui puisse faire exploser l’ordre établit.
Conclusion
Dans cette analyse, nous avons soulevé le fait que les problèmes environnementaux étaient liés à la logique productiviste, c’est-à-dire croissance illimitée de la production par la voie de l’industrialisation, ainsi qu'à l’idéologie occidentale du progrès technologique. Si le capitalisme implique nécessairement une forme de productivisme, le socialisme, historiquement, ne doit cette logique qu’à l’état de retard en terme d’industrialisation qu’avait la Russie du début du XXeme siècle, à la foi aveugle dans le progrès technique caractéristique des cultures occidentales de ce début de siècle, et à la situation de concurrence qui l’opposait aux société capitalistes. Cette logique, qui est une aberration du point de vue de la théorie marxienne, permet donc d’envisager la possibilité de réalisation d’une société communiste qui ne soit pas productiviste et tienne compte des nécessités environnementales. Cependant, bien qu’ayant élaboré une réflexion sur le machinisme, Marx ne pouvait prévoir la nouvelle aliénation que suppose le déploiement sans limite d’un système technoscientifique, ainsi que l’impossibilité d’une démocratie et d’une autonomie dans la décision que suppose ce modèle, c'est-à-dire au final, l’impossibilité de l’autogestion dans ce cadre systémique, à moins que l’ensemble des membres de la société ne se résolve à ne consacrer son existence qu’à la technoscience, ce qui ne constitue en rien une libération. Là où il était possible d’entrevoir l’émancipation humaine vis-à-vis du « règne de la nécessité » se glisse progressivement, à chaque défaillance du système, un appel à l’accroissement du complexe technoscientifique, qui nous éloigne petit à petit de cette émancipation, et tend à nous maintenir dans un état d’asservissement. Pire encore, ce que présuppose la future gouvernance environnementale, qu’elle soit capitaliste ou socialiste, à travers la problématique du risque ainsi que le « principe de responsabilité », à savoir renforcement du contrôle systémique, de la discipline des corps, instrumentalisation de la peur et de la contrainte, n’est ni plus ni moins que le retour de l’autoritarisme et l’entrée de la civilisation dans une nouvelle ère, celle de l’écolofascisme.
Ainsi, l’abandon de tout espoir vis-à-vis d’un système qui n’en comporte pas, ne fait que nous détacher de son emprise, et nous permet ainsi d’entrevoir une autre porte de sortie. L’expérience de la précarité nous a démontré que nous n’avons pas besoin d’une abondance de marchandise pour vivre. Nous estimons qu’il n’y a pas non plus besoin d’un accroissement du complexe technoscientifique qui aurait pour but de trouver comment maintenir le même niveau de production, mais version verte. Ce dont nous avons besoins aujourd’hui, au-delà des nécessités matérielles minimales, c’est de se réapproprier du temps, non exclusivement du temps consacré à l’oisiveté, mais du temps consacré à la politique, à l’amour, à l’amitié, au jeu, à l’art, à la compréhension du monde. Si ce projet semble de prime abord Utopique, nous soutenons que les projets pragmatiques proposés par les différents aspirants à la gouvernance ne constituent qu’un ensemble de supercheries garantissant le prolongement de la misère existentielle caractéristique de l’existence capitaliste. Notre projet n’est pas gestionnaire et technocratique, nous ne prétendons pas participer à l’accompagnement de ce système en pleine nécrose. Seul un soulèvement révolutionnaire peut rendre possible une existence qui serait débarrassée du surtravail, de la sur-répression, et qui laisserait libre cours à la joie et au développement autonome de la personnalité et des potentialités de chacun.
Collectif-Pensée-Critique
Notes
[1] Nous entendons « affectés par le sort animal et végétal » comme une disposition éthique, c’est à dire une conception de l’être pris dans un ensemble de rapports dont il n’est objectivement et subjectivement pas dissociable, qui composent son monde, son existence, sa vie. Georgio Agamben explique que les grecs avaient deux termes pour désigner la vie : « Zoé », qui désigne la vie abstraite, réduite à sa dimension mécanique, et qu’il désigne par le concept de « vie nue », et « Bios » qui est la vie entendue dans un ensemble de rapports qui la constitue, et qu’il désigne par « forme de vie ». Ainsi ce que nous entendons ici, c’est que cette affection est partie prenante d’une forme de vie, d’une existence indissociable des rapports matériels, symboliques et affectifs qui la compose, ou l’être et son milieu ne peuvent exister indépendamment l’un de l’autre, mais forment une seule entité.
[2] On assiste en outre, du fait de la destruction progressive des milieux, à l’émergence de « réserves naturelles », à la constitution de la Nature en tant que « patrimoine », ainsi qu’en tant que marchandise. La Nature ainsi réifiée n’est désormais plus reconnue comme un autre avec lequel le sujet coexiste, mais comme un capital, une vulgaire chose à gérer.
[3] Voir Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité et la dynamique politique de la société mondiale du risque (conférence), Hans Jonas, le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique,manifeste unabomber, la société industrielle et son futur, John Zerzan, point de rupture et futur primitif, bien qu’il faille émettre quelques réserves au sujet de ce dernier en ce qui concerne son manque de rigueur au niveau de certaines analyses (à ce propos : Alain C. John Zerzan et la confusion primitive). Ces quatre auteurs, comme beaucoup d’autres, soutiennent chacun à leur manière, et avec des différences au niveau de l’interprétation et des perspectives d’action, ce propos soutenu dans le texte concernant le lien entre productivisme et environnement. ou encore les théoriciens de l’anarchisme primitif : Theodore Kaczynski,
[4] Pour cela, il n’y a qu’à regarder les critiques sur l’écologie produites par de la nouvelle gauche anticapitaliste et altermondialiste.
[5] Voir Herbert Marcuse, Eros et Civilisation, L’Homme Unidimensionnel et Vers la Libération
[6] Voir Herbert Marcuse, Le Marxisme Soviétique, et Vers la Libération
[7] Voir les écrits de Marx sur la question environnementale. Pour aller plus vite, Voir Michael Lowy, Progrès destructif : Marx, Engels et l’écologie, paru dans J. M. Harribey & Michael Löwy ed., « Capital contre nature », PUF, 2003.
[8] A ce propos, Jurgen Habermas explique dans La Technique et la science comme « idéologie » que : « Marx fait coïncider le jugement pratique d’une opinion publique qui est d’ordre politique avec une maîtrise technique efficace. Entre-temps nous avons appris que même une bureaucratie planificatrice fonctionnant bien (ainsi qu’un contrôle scientifique de la production des biens et des services) ne représente pas une condition suffisante pour que se réalise de manière harmonieuse l’ensemble des forces productives à la fois matérielles et intellectuelles dans la jouissance d’une société émancipée. Marx n’a en effet pas prévu qu’entre le contrôle scientifique exercé sur les conditions d’existence matérielles et la formation de la volonté démocratique, à tous les niveaux, il pouvait naître un hiatus – c’est la raison philosophique pour laquelle les socialistes ne s’attendaient pas du tout à la possibilité d’un Etat autoritaire garantissant la prospérité, c'est-à-dire que le bien être d’une société soit relativement assuré au prix de la liberté politique. »
[9] Nous dissocions cependant l’anarchisme primitiviste des autres formes d’anarchisme. En effet, si l’anarchisme primitiviste reconnaît l’existence d’un risque systémique lié à l’activité industrielle et technoscientifique, il n’en appelle pas à un nouveau progrès, mais plutôt à l’éradication de tout progrès.
[10] « La technique pose des problèmes, entraîne des difficultés, et il faut plus de technique, toujours plus de technique pour les résoudre. Il y a bien autoaccroissement. » Jacques Ellul, Le Système Technicien
[11] « Pour diagnostiquer les menaces et lutter contre leurs causes, il faut souvent recourir à tout un arsenal d’instruments de mesure, d’expérimentation et d’argumentation scientifique. Il faut posséder des connaissances spécialisées poussées, une disposition et une capacité d’analyse non conventionnelle, ainsi que des installations techniques et des instruments de mesure globalement coûteux. » Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité. Pour ce qui est de la question culturelle et de l’idéologie, voir : J.Ellul, le système technicien, H. Marcuse, l’homme unidimensionnel, J. Habermas, la technique et la science comme idéologie.
[12] « La scientifisation réflexive ouvre donc de nouvelles possibilités d’influence et d’action (…), permet à la pratique sociale de s’émanciper de la science par la science ; dans le même temps, elle immunise les idéologies et points de vue d’intérêts socialement institués contre les visées strictement scientifiques, et ouvre la voie à une féodalisation de la pratique sicentifique instrumentalisée par les intérêts économico-politiques et la « puissance des nouvelles croyances » ; « On en arrive alors à une forme de scientifisation des protestations contre la science. C’est cette scientifisation qui distingue la critique du progrès et de la civilisation que nous connaissons aujourd’hui de celles des deux cent dernières années : les thèmes de la critique sont généralisés, la critique est – au moins potentiellement – scientifiquement fondée, et elle affronte désormais la science avec toutes les armes de la science. (…) on voit donc naître des formes de « contre-sciences » et de « science plaidoyer » qui ramènent toutes les « jongleries de la science » à d’autres principes, à d’autres intérêts – et parviennent ainsi à des résultats diamétralement opposés. (…) Les experts scientifiques adoptent de nouvelles formes d’activités orientées vers l’opinion publique (…). Un grand nombre de sciences se retrouvent exposées, dans les domaines où elles touchent à la pratique, à un « test de politisation » d’une ampleur sans précédent. » Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité
[13] Voir Herbert Marcuse, l’homme unidimensionnel, préface
[14] « La technique exige de l’homme un certain nombre de valeurs : précision, exactitude, sérieux, réalisme, vertu du travail, et une certaine attitude de vie : modestie, dévouement, coopération, des jugements de valeur claire : sérieux, efficace, utile. », « La technique est neutre, hors du champ de la morale, elle détruit la morale, et produit sa propre morale. », « Le discours moral qui s’y ajoute est une autre justification de celui qui se sait objectivement justifié au préalable. (…) Ce ne sont pas les valeurs qui nous autorisent à juger la technique, mais la technique qui est créative de valeurs. (…) C’est parce que la technique à supprimé l’esclavage et le servage que l’Homme a pensé et parlé de Liberté » Jacques Ellul, Le Système Technicien
[15] « La politique de type ancien était tenue de se déterminer par rapport à des buts pratiques, ne fut-ce qu’en raison de la forme de légitimation qui était celle de la domination : l’idée d’une « vie bonne » faisait l’objet d’interprétations qui étaient tournées vers des relations d’interaction. Cela est encore vrai également pour l’idéologie de la société bourgeoise. En revanche, la programmation du remplacement qui prévaut aujourd’hui ne concerne plus que le fonctionnement d’un système faisant l’objet d’un guidage. Elle évacue les problèmes d’ordre pratique et, avec elle par conséquent, la discussion concernant l’adoption de critères qui ne deviendraient accessibles qu’avec la formation démocratique d’une volonté politique. La solution des problèmes techniques échappe à la discussion publique. Des discussions publiques risqueraient en effet de mettre en question les conditions qui définissent le système au sein duquel les taches incombant à l’action de l’Etat se présentent comme des tâches techniques. C’est pourquoi la nouvelle politique de l’interventionnisme étatique exige une dépolitisation de la grande masse de la population. Dans la même mesure ou sont éliminés les problèmes d’ordre pratique, l’opinion publique perd sa fonction politique. » Jürgen Habermas, la technique et la science comme idéologie
[16] « Dans la mesure où le processus technique dépend de sa propre structure, la qualification de l’homme y est impérieuse. Il faut un Homme à la fois beaucoup plus compétent dans sa spécialité, et beaucoup mois apte à une réflexion. Plus il y a de facteurs, plus il est aisé de les combiner, plus l’urgence dans chaque progrès est claire, plus le progrès est évident, mois il y a d’autonomie humaine. » Jacques Ellul, Le Système Technicien
[17] Marcuse parlait à ce propos dans l’homme unidimensionnel de « technologie de la domination », ce à quoi il opposait une « technologie de la libération ». Cette seconde se distingue de la première par le fait qu’elle ne considère plus la nature et les hommes comme des choses à gérer mais comme des partenaires. Jürgen Habermas conteste cette affirmation, dans la technique et la science comme idéologie, en séparant la « rationalité en finalité » de ce qu’il appelle la « rationalité communicationnelle », médiatisée par des valeurs, des symboles. Cependant, la démonstration d’Habermas nous paraît insuffisante pour statuer a priori, et dans le cadre d’une société sur-répressive, de l’impossibilité d’une technologie libératrice. Cette hypothèse posée par Marcuse il y a plus de 40 ans reste à vérifier dans le cadre de l’expérimentation pratique d’un mouvement qui serait animé par une réelle volonté émancipatrice.
[18] Voir Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité et la dynamique politique de la société mondiale du risque (conférence)
[19] Voir les cours de Michel Foucault au collège de France sur le lien entre biopolitique et pouvoir disciplinaire, ainsi que surveiller et punir et La Volonté de savoir
[20] Hans Jonas, le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique
[21] Voir : Herbert Marcuse, Eros et Civilisation. Herbert Marcuse explique dans cet ouvrage que le trait spécifique du principe de réalité dans la civilisation occidentale productiviste, trait que l’on peut retrouver tant dans la société soviétique, que dans la société capitaliste, est le principe de rendement. Si ce principe est inhérent à la logique capitaliste, l’accroissement constant du taux de profit, il ne s’applique au socialisme qu’en fonction de trois caractères : l’état de retard en terme d’industrialisation de la Russie du début du XXeme siècle, sa conception du progrès imposée par le regard porté sur le développement du capitalisme occidental, et la situation de concurrence, imposé par la coexistence pacifique. Pour Marcuse, ce principe de rendement n’est pas une fatalité. Il considère en effet que les progrès techniques en terme d’automatisation permettent d’envisager une réduction générale du temps de travail et d’émanciper la société de la nécessité du travail aliéné. Cette réduction des activités humaines est également prise en compte par l’auteur dans le sens ou celles-ci sont en train de détruire progressivement toute possibilité d’existence. Elle constitue ainsi une nécessité environnementale.
[22] « Marchandise verte », appellation « bio », ne sont bien évidemment que des termes ironiques qui masquent en fait la volonté de maintenir prioritairement un mode de vie spécifique jusqu’à ce qu’il soit impensable que celui-ci puisse encore être maintenu. Il s’agit de repousser de quelques années la catastrophe, dans l’intérêt, bien évidemment de la domination capitaliste.
[23] la sur-répression est la forme répressive issue de l’ordre social, de la domination de classe, qui se surajoute à la répression nécessaire des instincts. Herbert Marcuse distingue trois couples antagoniques dans le cadre de la civilisation industrielle : principe de réalité/principe de rendement, répression nécessaire/sur-répression, et sublimation/ désublimation répressive. La désublimation répressive constitue la manière dont la société de consommation détourne les instinct libidinaux, non vers des activités réalisatrices, permettant d’atteindre un stade supérieur de développement, mais vers des activités de satisfaction directe mais détournée des instincts, qui ont pour effet l’affaiblissement de la pulsion de vie, d’Eros, et par conséquent la suprématie de l’instinct de mort, Thanatos. Cet instinct de mort est sublimé en destructivité et est employé par le capitalisme à des fins productives dans le cadre de la concurrence, de la lutte pour l’existence, de la course au profit.
Bibliographie pour approfondir le propos
-Herbert Marcuse, L’Homme Unidimensionnel / Quelques conséquences sociales de la Technologie / Le problème du changement social dans la société technologique / Vers la libération : au-delà de l’homme Unidimensionnel / La Fin de l’Utopie / Contre-révolution et Révolte / Eros et Civilisation / Le Marxisme Soviétique
-Jacques Ellul, le Système Technicien / la technique ou l’enjeux du siècle / le bluff technologique
-Jürgen Habermas, la technique et la science comme idéologie
-Ulrich Beck, la société du risque, sur la voie d’une autre modernité / la dynamique politique de la société mondiale du risque (conférence)
-Hans Jonas, le principe de responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique
-Theodore Kaczynski / Unabomber, la société industrielle et son avenir (manifeste)
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