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Par pensée-critique le 9 Décembre 2012 à 17:56
Comment est-il calculé ?
Dans cet article, il sera question du calcul du « Bilan Carbone Personnel ». Le bilan carbone personnel est calculé en fonction de la consommation énergétiques de chaque personne en fonction de son logement (surface, équipements, consommation énergétique), des moyens de transports utilisés (voiture, moto, vélo, avion, transports en commun, en prenant en compte les kilométrages parcourus), l’alimentation (quantité de viande, fruits, légumes, produits laitiers, boissons, ainsi que de la provenance de ces aliments), ainsi que de la consommation de biens (outils, biens technologiques, meubles, vêtements, équipements divers). Il peut permettre de peut permettre de mieux évaluer sa consommation énergétique personnelle, de réajuster ses pratiques de consommation en fonction de cette évaluation, et ainsi favoriser la réduction des émissions de carbone par tête. Néanmoins, la manière – relativement grossière – dont est calculé le bilan carbone personnel comporte un certain nombre de limites.
Moralisation, culpabilisation et répression
La première limite du bilan carbone personnel est sa dimension morale. Le bilan carbone personnel opère dans une société marquée par une conception morale – ontologiquement fausse – du sujet-Homme fondamentalement rationnel, totalement libre et responsable. Si l’on postule qu’un tel sujet existe, alors il est possible d’affirmer que le fait de ne pas faire d’efforts pour réduire son bilan carbone relève de l’immoralité. Il n’y a qu’un pas entre ce jugement et la possibilité de répression de ceux qui ne s’efforcent pas de réduire leur bilan carbone. Ce cheminement est d’ailleurs largement facilité par l’institution sociétale de l’idéologie de la Justice occidentale. La Justice occidentale, contenant dans ses fondements idéologiques cette conception du sujet-Homme moral, tel que nous l’avons défini, et appliquant une répression stricte, transmet aux Hommes sa logique du fait que ceux-ci observent la pratique judiciaire. A défaut d’autres modes de pensée et d’autres pratiques, les Hommes ont ainsi tendance à imiter les pratiques instituées, à les reproduire dans leurs schémas d’action. Ainsi, le bilan carbone personnel peut devenir – et devient – pour certains écologistes, un outil permettant de classer et de hiérarchiser (du fait qu’il s’agit d’une évaluation en partie quantitative) les pratiques sociales relatives à la préservation de l’environnement. Il permet la distinction entre, d’un côté les bons citoyens écologistes, et de l’autre, les mauvais citoyens – les non-citoyens – ne faisant rien pour la préservation de l’environnement et contribuant, au moins objectivement, à le dégrader. Il produit la possibilité de désigner de nouveaux Ennemis Intérieurs au sein de la société. Cette logique, du fait de sa dimension morale, conduit également de formes de culpabilisation. Or la culpabilité tend à priver l’Homme de sa puissance d’agir, à le rendre vulnérable. Elle l’incite à s’auto-flageller plutôt qu’à agir sur ses conditions d’existence. La morale est par conséquent inefficace en termes de préservation écologique. Elle voudrait que l’Homme soit immédiatement le sujet de raison libre et responsable de la philosophie des lumières, et ne tient pas compte de la réalité du sujet-Homme comme être non achevé, toujours en devenir, et produit social et historique, d’expériences et de déterminations multiples, continuellement inscrit dans une démarche d’expérimentation et soumis des influences hétérogènes, et dont le sujet de raison des lumières n’est qu’un aboutissement. Elle ne tient pas compte des rapports de force, de pouvoir, de classes, qui structurent la forme de la société, et font du sujet-Homme l’acteur de la production sociale, tandis que cet « acteur » est agi, soumis à des déterminations sociales, culturelles et symboliques, ainsi qu’a des rapports de pouvoirs qui ne lui laissent, au final, que le choix entre plusieurs formes d’austérité. En cela, comment peut-il être responsable de ce qui se fait dans son dos et qu’il ne maîtrise pas ?
Des impacts minimes
Les changements individuels que suppose l’évaluation du bilan carbone personnel sont intéressants en tant qu’apprentissage culturel d’un autre rapport, pratique et symbolique, à soi et au monde, néanmoins, les effets escomptés, en termes de réduction des émissions de carbone, sont loin d’être signifiants. Pour atteindre des effets significatifs en termes de réduction des émissions de carbone, il serait nécessaire d’apporter des modifications l’infrastructure globale de la société, c'est-à-dire l’infrastructure matérielle, mais aussi au niveau culturel et de l’imaginaire social.
Pouvoir et centres décisionnaires
La transformation des infrastructures matérielles, mais aussi sociales et culturelles, dépend, aujourd’hui et depuis longtemps, de centres décisionnaires non démocratiques, indépendants de la volonté collective. Ces décisions sont le produit de rapports de forces et de négociations entre différents acteurs du pouvoir (économiques, politiques, technoscientifiques), défendant chacun des intérêts particuliers (enrichissement, prestige social, carriérisme). Les populations sont totalement exclues de ce processus décisionnaire. De ce fait, leurs problématiques réelles, leurs intérêts, sont totalement niées. Ce ne sont pas les séances de négociation du type de celles inscrites dans les agenda 21 et les logiques de développement durable, préconisant de favoriser l’implication des associations issues de la société civiles, qui permettront le développement d’une implication démocratique des population. Ces associations, lorsqu’elles ne constituent pas pour leurs portes paroles des passerelles pour entrer dans les réseaux du pouvoir, ne représentent pas, pas toujours, et souvent de manière déformée, les intérêts et la volonté des populations. D’autre part, pour être acceptées dans ces séances de concertation, elles doivent adopter les positions du statu quo, ou du moins, ne pas trop s’en éloigner. Enfin, leur avis est sans réelle importance, dans la mesure ou le pouvoir décisionnaire revient toujours au politique, aux élus, et que les élus sont tributaires, comme souvent, des élites économiques. Tout au plus, les associations peuvent obtenir des miettes en menaçant les élus de leur faire perdre quelques électeurs. C’est pourtant au niveau des prises de décisions à grande échelle, et non au niveau des pratiques individuelles, de simplicité volontaire, que se joue réellement la transformation écologique – et démocratique – de la société. C’est en luttant à ce niveau, en affrontant directement les centres décisionnaires, que les émissions de carbones pourront être réduites de manière significative. Ainsi, occuper la population à changer son petit quotidien, à réduire sa consommation carbone personnel, constitue au mieux une pratique dont les effets seront marginaux, et, au pire, permet détourner son attention de la lutte contre les réseaux de pouvoir, et de créer des conflits au sein de la société entre les bons écologistes et les mauvais pollueurs.
Logique marchande et incitation à l’excès
Il est d’autant plus vain de parler de responsabilité écologique individuelle que la dynamique marchande incite ses acteurs à user de tous les moyens dont ils disposent pour vendre leurs produits, quels que soit leur nature. On ne peut dire que l’individu à toujours le choix, lorsque celui est socialisé dès l’enfance dans un monde marchand, pris pour cible par la publicité, façonné dans ses désirs à des degrés divers par les besoins d’avoir pour être, ou tous simplement soumis à des besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, se vêtir). C’est un fait, le système marchand (son aménagement matériel et social, son incrustation dans l’imaginaire et les pratiques sociales) exerce une influence écrasante sur le sujet, au point que la préservation de l’environnement apparaît aujourd’hui comme une alternative d’austérité exigeante face à une passivité confortable (et pour beaucoup, entre une austérité exigeante et une austérité confortable).
Un Bilan Carbone Personnel version Ecosocialiste
Pour être véritablement significatif et opérer à la fois dans le sens de la préservation environnementale et de la justice sociale, le bilan carbone personnel devrait être repensé en prenant en compte l’influence de la société, des centres décisionnaires, sur le sujet et la manière dont il organise sa vie. Il serait à la fois nécessaire de déduire de ce bilan carbone la part qui dépend des infrastructures, des incitations et des idéologies marchandes, du modèle de civilisation imposé socialement et matériellement. Il faudrait également prendre en compte la compensation qui consiste dans les activités de mobilisation contre les réseaux de pouvoir, la revendication de changements écologiques majeurs et le développement de pratiques sociales alternatives. Ces déductions d’émission carbone pourraient ainsi être ré-imputées aux acteurs des centres décisionnaires, qui sont les réels responsables des taux élevés d’émission carbone de la population.
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Par pensée-critique le 11 Novembre 2012 à 15:39
Bien souvent, les critiques du productivisme sous-tendent des objets et des revendications extrêmement différentes : retour à la Nature, réduction de la production matérielle sauf pour une petite élite, réduction du temps de travail, valorisation des activités immatérielles, etc. Ces différences tiennent dans le fait que le terme même de productivisme ne comporte pas le même sens en fonction des postitions politiques de ceux qui en font la critique. Il existe en effet une amalgame récurrente, mais épistémologiquement fausse, entre gains de productivité et augmentation de la production. Or l'augmentation de la production et celle de la productivité ne vont pas nécessairement de pair. Elles ne s'inscrivent pas dans la même logique et ne poursuivent pas nécessairement les mêmes objectifs.
L'article "Faut-il lutter contre le productivisme ? - Réflexion sur les concepts de la production et leurs enjeux sociaux et politiques" a pour but d'éclairer nos lecteurs sur le sens des concepts liés à la question de la production, sur leurs finalités, et sur la structuration des différents positionnsements politiques relatifs aux enjeux de la production. Il a également pour but de comprendre de quelle manière le productivisme peut-être critiqué, quelles en sont ses apports et ses limites.
[Voir l'artcile "Faut-il lutter contre le productivisme ? - Réflexion sur les concepts de la production et leurs enjeux sociaux et politiques" dans la colonne de Gauche, dans la rubrique "Ecologie et place de la technologie dans la société"]
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Par pensée-critique le 10 Octobre 2012 à 15:19
Bien souvent les critiques sociales ont tendance à amalgamer société de consommation et société marchande. Cependant, bien de consommation et marchandise sont deux termes distincts. Ils ne se rapportent pas aux mêmes réalités et ne soulèvent pas les mêmes enjeux sur le plan de la critique de la société et des perspectives de changement que l'on peut ensuite proposer.
L'article "Société de Consommation ou Société Marchande ?" a pour but de répondre aux interrogations suivantes :
Quelle différence entre un bien de consommation et une marchandise ? Quelle différence entre Société de Consommation et Société Marchande ? Pourquoi est-ce pertinent de distinguer ces deux concepts ? Quels sont les réalités sociales et les enjeux philosophiques et politiques sous-jacents dans le fait de parler de l'un plutôt que de l'autre ?
[voir : article en 4 parties dans la colonne de gauche : Société de consommation ou société Marchande, rubrique Ecologie et place de la Technologie dans la Société]
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