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EXTREME DROITE ET THEORIE DE LEVOLUTION
1 L’Evolution selon Charles Darwin
Nous ne nous étendrons pas sur la théorie de l’Evolution de C.Darwin, ni ne renierons le principe d’évolution génétique des espèces qu’il a pu mettre a jour. Nous nous contenterons ici de rappeler ses principes fondamentaux. Dans De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle, Darwin pose le fait que les espèces évoluent par « voie de sélection naturelle », dont les prémices sont les suivants :
- Il existe dans la nature un état de pénurie mettant en concurrence les différentes espèces, ainsi que les membres de ces espèces, pour l’appropriation des ressources nécessaire à leur préservation et/ou à leur expansion.
- Seules les espèces les plus performantes, les plus adaptées, évoluent, tandis que les autres sont vouées à disparaître.
- Parmi les espèces, il existe des spécimens mieux dotés que d’autres. Ils disposent de certaines caractéristiques physiques leur conférant un avantage en situation par rapport à leurs congénères. Ils sont plus imposants physiquement, plus souples, plus rapides, plus forts, ont des mâchoires plus développées, etc.
- Il s’opère donc un processus de sélection au sein de chaque espèce, du fait que certains membres disposent, du fait de leurs propriétés génétiques, d’une plus grande aptitude à survivre et à se reproduire.
D’inspiration Malthusienne, Darwin postulait également que :
- Tandis que les espèces (ou les membres des espèces) les moins adaptées disparaissent, les espèces (ou les membres des espèces) les plus adaptables se développent jusqu'à un certain seuil de saturation, au-delà duquel elles ne peuvent disposer des ressources nécessaires à leur survie. A ce stade, l’espèce peut diminuer numériquement, muter pour s’adapter au milieu, ou disparaître (ce qui signifie qu’elle était devenue incapable de s’adapter à son milieu).
Si Darwin reconnaissait l’existence de phénomènes d’entraide et de solidarités animale spontanées, il les considéraient néanmoins comme des phénomènes marginaux du processus d’Evolution, dont l’élément déterminant était pour lui le processus de sélection.
2 Le Darwinisme social ou la récupération droitière de la théorie de l’évolution
L’expression « Darwinisme Social » est une invention du philosophe Herbert Spencer, contemporain de Darwin. Tandis que Darwin s’est fermement opposé à l’application de ses théories biologiques à l’analyse des sociétés humaines, Spencer s’en servit pour interpréter les phénomènes sociaux comme lutte pour la survie dans lesquels seraient sélectionnés les plus aptes.
Selon l’idéologie Evolutionniste de droite, aussi appelée « Darwinisme Social », les hommes, comme les autres espèces animales, sont nécessairement en concurrence les uns avec les autres, et entrent en lutte les uns contre les autres pour assurer leur survie ou améliorer leur existence. Telle est leur nature profonde. La civilisation, l’économie capitaliste, sont ainsi considérés comme le fuit de l’évolution, et en tant que tel, comme le reflet de l’état de nature, de la nature authentique de l’homme. Les plus évolués atteignent ainsi les plus hautes positions sociales, tandis que les moins évolués se retrouvent en bas de l’échelle sociale. L’inégalité et l’injustice entre les hommes sont ainsi justifiées par l’idéologie scientiste dérivée de la théorie de l’Evolution.
Les courants les plus à droite sur le plan économique (ultralibéraux et libertariens) considèrent, dans la lignée de Spencer, que l’intervention de régulation étatique, sur le plan économique et dans la prise en charge de missions sociales, constitue un frein en matière d’évolution. Le rôle de l’Etat, pour ces courants, se limite au fait de garantir les fonctions de sécurité minimales, tandis que le « marché » doit pouvoir se développer librement. Or la concurrence « libre et non faussée » engendre nécessairement des inégalités. Du fait de la concentration capitaliste, elle a tendance à générer des oligopoles et des monopoles, a mettre en concurrence de la main d’œuvre afin de baisser le « coût » du travail, a dégrader le climat, a piller de manière immodéré les ressources naturelles, particulièrement celles des pays pauvres, a rendre les populations paupérisées plus vulnérables. Toute l’activité de la classe dominante est tournée vers sa propre préservation, au détriment du reste de l’Humanité, qui doit, pour rester servile, être maintenue en situation de précarité matérielle et de soumission idéologique. A terme, avec le poids du temps, du capital transmis de génération en génération, il ne s’agit même plus de sélection naturelle, mais de reproduction sociale et historique de la domination, d’une classe sociale qui se maintient, en plus de la possession du capital, de l’Etat, des outils de soumission physiques et idéologiques, pas le poids de la tradition et de l’habitude, la force de la normalité apprise.
Cette conception était notamment celle du front national à l’origine, lorsque celui-ci se cantonnait à un simple rôle d’opposition de droite, dont il n’entrevoyait pas de possibilité d’accéder au pouvoir. Le changement d’orientation récent du FN, consistant dans l’abandon d’un libéralisme reaganien, jadis prôné par lepen père, pour une logique plus keynésienne développé par lepen fille, s’explique très logiquement. Profitant de la situation de crise économique mondiale, le FN y perçoit une possibilité d’accéder au pouvoir. Or pour y accéder, il est nécessaire d’obtenir le consentement d’une grande partie de la population, notamment celui des classes populaires, qui, du fait de leurs situations socioéconomiques, seraient plus enclin à se tourner vers la gauche. Le Keynésianisme n’est ainsi qu’un moyen temporaire pour gagner le consentement de la population et prendre le pouvoir. Sur le long terme, il s’agirait d’affaiblir les classes populaires et de revenir à l’Etat régalien pour protéger la bourgeoisie nationale.
L’Evolutionnisme d’extrême droite s’inscrit donc en continuité de celui de la droite. Il trouve néanmoins sa spécificité dans le fait de poser la problématique de l’évolution non seulement sur une base socioéconomique, mais aussi territoriale (nationale, continentale) ethnique, culturelle ou civilisationnelle (espace territorial, ethnique et culturel). Il mélange les dimensions biologiques et les dimensions sociales : l’évolution concerne à la fois la production d’êtres dominateurs sur le plan physique, mais aussi dominants intellectuellement, économiquement et socialement. Il est légitime, selon cette conception, que la civilisation la plus évoluée domine les autres et que les êtres les plus évolués de cette civilisation dominent les autres les moins évolués ; dispose des territoires les plus favorables, des ressources les plus avantageuses, de privilèges particuliers, et soient valorisés socialement, matériellement et symboliquement ; que les plus faibles soient éliminés, soit directement (le Nazisme), soit indirectement (le Malthusianisme). Cependant, il ne s’agit pas d’une « Théorie » de l’Evolution par voie de sélection « naturelle », mais d’une « idéologie » de l’évolution par sélection « volontaire et contrôlée », pouvant aller des politiques (anti-) sociales « soft » à l’eugénisme.
Si l’évolutionnisme de l’extrême droite constitue une extension de l’évolutionnisme de droite, cette extension le place néanmoins en contradiction radicale avec ce dernier. L’idéologie évolutionniste du capitaliste libéral se limite au champ socioéconomique. Se limitant à une dynamique non structurée par des valeurs rigides et totalisantes (la thèse de la « cage d’acier » de Max Weber), elle se trouve en mesure de faire preuve d’adaptabilité et de souplesse quant aux évolutions socioculturelles, de mœurs. Elle intègre et se nourrit des différences émergeant au sein de divers groupes sociaux, y trouvant la source d’un renouvellement constant favorable à sa dynamique marchande. Au contraire, le capitalisme d’extrême droite est incapable d’une telle dynamique. Du fait de sa rigidité en ce qui concerne les mœurs, il doit nécessairement réprimer et exclure.
Il est certes juste de critiquer la dynamique marchande du capitalisme et ses effets désastreux, tant en termes de dégradation de la Nature que de dégradation de la sociabilité, cependant, sans cette dynamique marchande, le capitalisme n’a pas de raison d’être, et personne, si ce n’est la bourgeoisie capitaliste, ne trouverait un intérêt à y participer. La critique que formule l’extrême droite à l’égard de la « modernité », lui reprochant d’avoir entravé un ordre naturel harmonieux, n’a pas d’intérêt au regard de l’évolution, dans la mesure où il est question d’un capitalisme d’austérité et de stagnation articulé autour d’un ordre hiérarchique et éliminatoire.
3 Théorie scientifique ou idéologie ?
Le « Darwinisme social » ne constitue pas une véritable théorie scientifique, mais plutôt une croyance et une idéologie. L’usage de la science comme justification de l’idéologie dominante, ou comme tentative de légitimation de la critique sociale, est un phénomène récurrent dans l’histoire des sciences. Ce phénomène ne s’applique pas qu’a la théorie de l’Evolution. Il s’est également produit au sein de la psychologie, notamment en ce qui concerne la théorie Freudienne. S’y sont notamment affrontés des courants conservateurs (Jung) et des courants progressistes révolutionnaires (Freudo-Marxisme). L’enjeu de ces débats n’est pas tant d’établir une vérité scientifique, que de discuter de la place que les théories scientifiques doivent occuper dans la société, de ce qu’elles indiquent comme perspectives d’avenir, des limites qu’elles y posent et des perspectives qu’elles peuvent ouvrir. Loin de s’agir d’une « perversion » de la science, il est plutôt question d’une lutte politique pour la vérité. Les groupes dominants cherchent à garantir la continuité de leur domination en mobilisant les outils qui normalisent cette domination, et leurs opposants s’approprient des contenus scientifiques pouvant démontrer la contingence de la domination établie.
Dans cette lutte politique, la science n’est qu’un objet par défaut, tout comme peuvent l’être l’histoire, la religion, les valeurs dominantes de la République et de la Démocratie. Le pouvoir s’empare de ce qui est structurant dans la société, et par conséquent qui est à même de le renforcer. Les classes dominantes interprètent spontanément les théories scientifiques en fonction de la vision qu’ils ont de l’existence, de ce qu’elles considèrent comme normal ou naturel. De la même manière, elles s’emparent des contenus scientifiques qui correspondent à cette vision du monde, ou les adaptent pour qu’ils s’y insèrent. La domination capitaliste produit ou s’approprie des contenus considérés comme légitimes qui vont justifier une logique de concurrence et d’enrichissement personnel, ou bien adapte ces contenus pour qu’ils justifient cette logique. On peut ainsi constater ce phénomène en ce qui concerne le protestantisme. L’éthique protestante considérait en effet la richesse matérielle comme un signe d’élection, et encourageait ainsi les hommes à adopter une attitude concurrentielle dans une perspective d’enrichissement individuel. Elle constituait, tout comme la théorie de l’évolution, une forme de légitimation de la domination capitaliste où la concurrence constitue un phénomène central. Nature dangereuse et hostile, pénurie, situation de lutte sauvage pour l’existence, concurrence, compétition, valorisation de la force, de la brutalité et de l’intelligence comme composantes de la capacité à soumettre, soucis de hiérarchie, de préserver les « meilleurs », volonté de laisser disparaître les plus « mauvais » plutôt que de modifier les conditions structurelles et de les doter de la capacité de s’améliorer : on retrouve, dans l’éthique protestante, tout comme chez Malthus et Darwin, les schèmes de l’imaginaire social de la domination telle qu’elle s’est développée dans la culture occidentale, et donc la même possibilité pour la domination capitaliste de s’en emparer et d’en user comme outil de légitimation des politiques socialement injustes. Cette domination puise donc les outils nécessaires à sa légitimation dans les productions de la pensée issues de l’ensemble de connaissances culturellement dominant. Dans une société où domine l’enchantement religieux, le capitalisme se trouve des justification religieuses, tandis que dans une période de désenchantement religieux, il doit trouver sa légitimité ailleurs, dans ce qui s’affirme comme système de croyance dominant. Lorsque la science prend une telle place, la domination capitaliste va puiser au sein de la science pour s’auto justifier, et va ainsi instrumentaliser une théorie scientifique à cet effet.
4 La critique de Kropotkine
En 1902, Pierre Kropotkine, théoricien révolutionnaire anarchiste et biologiste reconnu, publia un essai intitulé L’entraide, un facteur de l’évolution. L’objet de cet essai était, comme sont titre l’indique, de démontrer que l’entraide constituait un facteur déterminant de l’évolution, et non un simple fait marginal, comme l’envisageaient Darwin et ses continuateurs. La critique de Kropotkine, s’appuyant sur un certain nombre d’observations, aussi bien éthologiques qu’anthropologiques, entendait démontrer la place prédominante des phénomènes d’entraide et de solidarité dans le processus d’évolution. Si Kropotkine reproche à Darwin d’avoir sous-estimé la place des phénomènes d’entraide sur le plan biologique, sa critique déborde largement du cadre strictement scientifique pour se placer ensuite sur le plan politique. Elle s’adresse davantage aux idéologues de la domination capitaliste (philosophes, économistes, sociologues), et plus particulièrement à ceux qui se sont appuyés sur les thèses de Darwin pour légitimer des théories de la domination, de la sélection, de l’exploitation et de l’élimination. Elle s’oppose à une vision guerrière de l’existence, envisagée comme lutte perpétuelle de tous contre tous pour la survie, au sein de laquelle l’autre serait systématiquement envisagé comme une menace (« l’homme est un loup pour l’homme »). Pour Kropotkine, ces moments reflètent moins des moments de l’évolution que des périodes de crises anecdotiques dans le fonctionnement normal de l’évolution. Il souligne de plus que c’est dans l’association, la coopération entre ses membres, que les espèces, les groupes sociaux, les sociétés humaines, trouvent les meilleures ressources pour assurer leur survie, tandis que dans la guerre mutuelle, elles se rendent vulnérables et prennent le risque de disparaître. D’une théorie biologique, on passe donc, chez Kropotkine, à une théorie du développement économique et social, au cœur de laquelle les phénomènes d’entraide et de solidarité prennent une place prépondérante, mettant l’accent sur les échanges volontaires et réciproques de ressources, de moyens de production et de connaissances, comme condition de l’amélioration qualitative de l’existence pour tous les Hommes. Il s’agit en finalité d’une critique politique, s’opposant à l’appropriation des ressources, des savoirs et des moyens de production par des minorités, à l’organisation volontaire d’une économie concurrentielle basée sur la rareté et l’accumulation privée, donc d’une critique anticapitaliste visant le développement de formes de collectivisation, de partage et d’entraide comme forme sociale motrice de l’évolution humaine.
5 L’entraide chez les « solidaristes » : déviation fallacieuse de l’Entraide ou fidélité au Darwinisme Social ?
Contrairement à l’idéologie qui domine au sein de l’extrême droite, selon laquelle les plus faibles doivent être éliminés, les courants « solidaristes » d’extrême droite reconnaissent l’existence de phénomènes d’entraide, les considèrent comme producteurs de valeur et tentent ainsi d’en faire la promotion. Cependant, cette forme d’entraide est inégalitaire. Elle reconnaît le besoin de solidarité lié à l’inégalité des conditions, certes, mais le but de cette solidarité n’est pas d’aboutir à une situation d’égalité sociale. La solidarité est intégrée dans une logique hiérarchique qui la neutralise et en fait un outil pour la domination capitaliste. Le salarié doit être solidaire de son patron, le citoyen doit être solidaire de son Etat, le patriote de sa patrie, contre les autres entreprises, Etats, patries. Dans cette logique, l’être singulier est nié, n’est pas reconnu pour lui-même, mais uniquement d’un point de vue fonctionnaliste et utilitariste, en fonction de ce qu’il apporte à l’entité collective, l’appareil productif. La solidarité n’a pour fonction que de permettre à l’appareil productif de fonctionner de manière optimale. Si elle ne le permet pas, alors elle n’a pas d’intérêt pour les solidaristes. Ensuite, la solidarité se joue au niveau d’un groupe restreint, qui se trouve nécessairement pris dans une situation d’antagonisme et de concurrence avec d’autres groupes (entreprises, nations), pour l’appropriation des ressources et du fait de sa volonté d’expansion illimitée. Cette base de concurrence économique comprend dans ses conséquences une logique d’élimination des plus vulnérables. La manière dont l’extrême droite solidariste mobilise le concept d’entraide est à l’antipode de ce que Kropotkine a tenté de mettre en valeur à travers ses travaux. En effet, l’entraide était un concept qui entendait démontrer la validité des comportements généreux dans le cadre de l’évolutionnisme, et qui était censé travailler dans le sens de la construction d’une société plus égalitaire. En cela, le solidarisme correspond davantage à un darwinisme social réaliste, pragmatique. Il conserve à la fois ses aspirations de grandeur, sa vision idéaliste du progrès et de l’évolution (celle-ci étant perçue à travers les « grandes réalisations » du collectif : ses productions intellectuelles et artistiques, ses prouesses techniques et non en fonction de l’amélioration de la qualité de l’existence pour tous ses membres) son cynisme utilitariste et misanthrope. Ce n’est donc pas parce que l’on mobilise le concept de solidarité que l’on se situe du coté de l’égalité et de l’amélioration réelle des conditions l’existence. Comme le prouvent les courants solidaristes d’extrême droite, elle peut très bien constituer le moyen de faire perdurer des régimes d’exploitation et d’oppression.
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