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LEXTREME DROITE AUJOURDHUI : DISCOURS, EVOLUTIONS, INTENTIONS ET DANGERS ? (I&ll)
I Les fondements socioculturels d’une remontée de l’extrême droite
Pour comprendre la remontée actuelle de l’extrême droite, il nous faut comprendre à la fois ce qui, dans la situation récente, est à l’origine d’une telle évolution, mais aussi ce qui, dans les tendances profondes de nos sociétés, de nos cultures, a constitué un élément structurant, dont l’entrée en crise tend à justifier un retour à des cadres institutionnels rigides, autoritaires et traditionnels.
1 Caractéristiques de la raison moderne
Nous distinguerons ainsi, dans un premier temps, l’émergence et l’hégémonie d’une certaine forme de la raison, qui a progressivement pénétré l’ensemble des activités humaines, et qui s’est imposée comme force motrice de la « modernité ». Il s’agit de ce que l’on nommera la raison instrumentale-stratégique. Cette rationalité sépare le monde entre d’un coté le sujet agissant, et de l’autres les choses à sa disposition. Elle s’appuie sur le calcul rationnel, la prévision, la planification. Elle ne reconnait d’autres valeurs que l’efficacité d’une action en fonction du résultat attendu. C’est une rationalité dont le but est la maitrise, la domination des choses. Elle trouve son origine dans un certain développement des sciences de la nature en vue de l’application technique. Cette raison technique s’est ensuite appliquée à l’industrie, aux finances, à la gestion politique, notamment sous l’impulsion des modèles bureaucratiques, et elle a progressivement pénétré la vie quotidienne. Elle est devenue un trait fondamental de la culture occidentale. La science à progressivement occupé la place de la religion, dont elle a provoqué la disgrâce, et contribué au désenchantement du monde. Du fait du développement de la science, de la technique et de la logique de la planification, ce qui constituait l’inconnu est devenu connaissable, ce qui relevait du hasard est devenu le fuit de la raison, ce qui était « danger » est devenu « risque » (Ulrich Beck, dans La Société du risque distingue en effet le risque qui est calculable et peut être anticipé, du danger qui est imprévisible, qu’il n’est pas possible d’anticiper).
2 Evolution sociales durant les 30 glorieuses
Pour que cette rationalité puisse s’exercer, il est nécessaire que les données de départ soient prévisibles, que le système soit relativement stable. Les événements majeurs de la seconde moitié du XXème siècle sont à l’antipode de cet impératif de stabilité. Tout d’abord, la sortie de la guerre marque le début d’un bond technologique considérable (développement de la production, des systèmes de communication à grande échelle, accélération des échanges et du rythme de la vie), qui va transformer de manière radicale l’existence, et ce, non d’une génération à l’autre, mais à l’intérieur d’une même génération. Par la suite, les mouvements socioculturels des années 60-70 vont ébranler de manière radicale l’hégémonie des cadres institutionnels traditionnels telles que l’autorité patriarcale, la famille, le mariage, la place de la femme dans la société, et revendiquer davantage d’autonomie existentielle. A cette période, la raison instrumentale peut encore s’exercer sans dégâts, car la structure économique et sociale conserve une certaine stabilité. Les hommes peuvent planifier leur vie, car ils disposent de cardes sécurisants, et car le progrès se traduit en amélioration de leurs conditions d’existence. Il se développe à partir de cette possibilité de construire sa vie propre, libérée des impératifs de la normativité, une culture de l’individualité qui dissout progressivement les grandes communautés et institutions intégratrices.
3 La récession et le développement d’une culture de l’insécurité
A partir du milieu des années 70, l’histoire va prendre un autre tournant. La crise de 74 marque la fin des 30 glorieuses et le début d’une période de récession. Le marché de l’emploi, jadis ouvert par l’évolution technique, administrative et des activités de service, arrive à saturation. Les préoccupations écologiques se font progressivement grandissantes, notamment par la perception des limites énergétiques, des effets de la pollution industrielle sur la nature, et des catastrophes technologiques. En France, à partir de 1982, débute sous le gouvernement socialiste les politiques de rigueur. D’un autre côté, on constate depuis les années 80-90 une augmentation constante du nombre de divorces, de recompositions familiales. On observe aussi, sur le plan sanitaire, une élévation du nombre de cancers, de dépressions chroniques, de suicides, de maladies liées à l’alimentation, ou aux évolutions climatiques. De l’autre, après l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, le néolibéralisme se développe sans aucune limite : « flexibilisation » du travail, délocalisation et chômage croissant, autonomisation et responsabilisation répressive des travailleurs, destruction des systèmes de protection sociale. Dans ce contexte de moins en moins stable au niveau économique, social, environnemental et existentiel, il devient de plus en plus difficile de planifier son existence, afin de se prémunir du danger et de réaliser ses désirs. Il n’est plus possible non plus de s’accrocher à une quelconque justification transcendante : nous ne souffrons plus pour un paradis, pour la réalisation du Communisme ou quoi que ce soit d’autre. Si l’Altermondialisme a pu un temps tenir se rôle comme perspective d’un autre possible, les années 20xx ont marqué son déclin progressif, nous laissant dans un présent sans perspective de changement, et pire encore, avec une crise financière qui semble durer et s’approfondir. Nous souffrons sans raison, sans sens, et nous ne pouvons rien faire, rien planifier. Nous sommes dépendants d’un mouvement qui se fait sans nous, contre nous, où nous sommes responsables de notre réussite et le plus souvent laissés seuls face à notre propre échec, où l’avenir est source de crainte et de délitement, plutôt que de bonheur et de réalisation.
4 La crise de la modernité tardive et la remontée de l’extrême droite
La crise que subit la « modernité » est à la fois une crise économique, sociale et environnementale, mais elle est aussi une crise de la capacité d’agir et de conduire son existence rationnellement et volontairement, crise de la possibilité d’une vie heureuse dans un monde sécurisant, ou l’on pourrait expérimenter, prendre des risques, se donner le droit à l’erreur, et finalement avancer et s’épanouir. Dans ce contexte anomique et incertain, l’extrême droite gagne en popularité car, à défaut d’une alternative immédiatement crédible à gauche, ses réponses simples impliquent la mise en place immédiate de carde sociaux rigides et stables qui semblent permettre à la raison instrumentale-stratégique de s’exercer, à l’homme de planifier sa vie. Aux problèmes sociaux engendrés par l’émancipation de la femme sont proposés la restauration du modèle familial et de la répartition sexuée des rôles à l’ancienne. Aux problèmes d’incivilités urbaine et de magouilles financières est proposée la réaffirmation de la souveraineté Etatique dans les rues et face au monde de la finance, à la casse des acquis sociaux est opposée la restauration de la protection sociale. Au désenchantement du monde est opposé le retour de la tradition et de la religion. Au risque d’évolution de ces institutions par le contact avec d’autres cultures, et par conséquent de perte de pouvoir des leaders de ces mouvements, est opposé l’hermétisme culturel et le choc des civilisations. Enfin, à la responsabilité non identifiable dans un système chaotique et dépersonnalisé de jeux d’influence et d’imitation réciproque, est opposé la désignation d’Ennemis intérieurs (les étrangers, principalement maghrébins et noir africains) et extérieurs (l’Hyper classe « apatride » des industriels et banquiers internationaux, les Etats Unis, la Chine) comme responsable du malheur collectif. Voici qui explique, en partie et selon nous, la remontée de l’extrême droite. Le défi qui se pose aujourd’hui à la gauche sera de trouver de nouvelles modalités de réponse aux problèmes sociaux impliqués par le capitalisme tardif sans pour autant tomber dans le piège de la « Lepénisation ». Il s’agira de répondre au délitement des cardes sociaux, à l’incertitude et à la fragilité qui en découle, par autre chose que la restauration de l’autorité et de la tradition. Pour terminer, n’oublions pas de rappeler que la raison instrumentale-stratégique à laquelle l’extrême droite tente de donner un second souffle, est à l’image de la culture qui la fait naître. Elle est inhumaine et cynique. Lorsqu’elle devient prééminente, qu’elle nie l’humanité en raison d’une quelconque nécessité, elle peut donner lieu aux pires horreurs. Ce n’est pas pour rien qu’elle est la rationalité des managers, des chefs militaires, des banquiers et des politiciens, ni qu’elle fut le fer de lance du Nazisme et du Stalinisme. L’extrême droite est à l’image de tous ceux qui manipulent cette raison, elle est cynique, inhumaine et par conséquent dangereuse. Par conséquent, si la raison instrumentale-stratégique est rationalité de la domination, qu’elle constitue une forme d’agir dont nous ne pouvons cependant nous passer, une forme d’agir en crise dans nos sociétés chaotiques et incertaines, alors, une autre raison, une autre forme d’agir doit se développer et limiter, canaliser cette raison instrumentale. Une autre raison qui ne sera pas celle du calcul cynique, de la stratégie, et de la négation de l’Homme, de la désignation de coupables et de l’usage de la force imbécile, mais celle de la reconnaissance mutuelle et de la réflexivité concertée. La crise de la raison instrumentale-stratégique, et le développement d’une autre rationalité, seront peut-être les clés qui nous permettront de nous sortir d’une logique de gestion immédiate, de pouvoir envisager la possibilité d’une autre politique et d’un véritable avenir.
II Les extrêmes droites : différences et similitudes
1 Extrême droite politique et extrême droite sub-politique
Il est tout d’abord nécessaire de distinguer l’extrême droite politique (institutionnelle) de l’extrême droite sub-politique (non-institutionnelle). Cette différence est importante dans la mesure où si l’extrême droite institutionnelle semble conserver une ligne politique (plus ou moins) stable (ce que nous verrons ensuite, et ce malgré ses prétendues évolutions), l’extrême droite non institutionnelle se compose de mouvements très divers et parfois difficilement identifiables en tant que tels. Cette extrême droite « d’en bas » comprend une série de groupuscules ouvertement néo-nazis, catholiques intégristes, traditionalistes, nationalistes, régionalistes, ainsi que des groupes composites qui, tout en se revendiquant de certaines de ces positions, intègrent des problématiques beaucoup plus progressistes. Ils peuvent défendre des problématiques écologiques, altermondialistes, socialistes, anticapitalistes, ou encore libérales/libertaires. Ainsi, certain se prononcent en faveur de la relocalisation de la production, de la sortie du tout technologique, du nucléaire, du développement des énergies alternatives, des projets de fermes bios, collectives, des pratiques de gratuité, organisent des soupes populaires, s’opposent à la publicité, à la société marchande, défendent le développement du service public, l’auto-organisation, la diversité d’opinion et la liberté d’expression, le « ni de droite ni de gauche » des anarchistes, l’abolition de la dette, l’éviction de la technocratie, la fin des grands monopoles, la sortie du capitalisme, la réduction du temps de travail, le passage au socialisme, la lutte des classes. Il existe également des mouvements nationalistes féministes et nationalistes gays, même si ces postures demeurent marginales au sein de l’extrême droite. La liste est potentiellement infinie. Cette diversité implique que l’extrême droite peut faire acte de présence dans de nombreuses associations, de nombreux mouvements et réseaux de lutte sociale. Auraient-ils mis au point leur stratégie de lutte en s’inspirant des thèses sur l’ « Empire » et les « Multitudes » de Negri et Hardt ?!
2 Comment expliquer cette diversité ?
Ce phénomène de multiplicité tient d’une part dans l’effondrement du stalinisme et du mouvement ouvrier. Ainsi, de nombreux autoritaires de gauches ont rejoint les rangs de l’extrême droite (ce que l’on appelle dans le jargon les rouges-bruns) avec laquelle il existait un terreau commun, et qui pour bonne partie, à su de manière opportune se saisir de cette problématique ouvrière, et exploiter ses lacunes (racisme, xénophobie, stakhanovisme, machisme, mépris de la réflexion sous couvert d’anti-intellectualisme). Cette multiplicité tient d’autre part dans le développement du libéralisme culturel, et de ce que ce phénomène à produit au niveau de la construction des parcours de vie et des identités. Il n’y a plus de communautés aussi fortement intégratrices que par le passé, ce qui favorise une démarche d’exploration ouverte de la constellation sociale afin de donner du sens à son existence, de construire son identité, ses engagements. L’extrême droite se compose alors de personnes aux parcours composites et aux opinions très divers. On peut ainsi se demander ce qui constitue le fond commun de tous ces groupes, ce qui est caractéristique d’une posture d’extrême droite. Pour parvenir à s’en saisir, il est d’abord nécessaire de mettre à l’écart l’ensemble des revendications progressistes, et de se concentrer sur les problématiques et les solutions finales communément avancées par ces groupes.
3 Quelles similitudes ?
Le fond de ce qui constitue le positionnement de type extrême droite reste significativement le même, bien qu'il puisse se décliner sous des formes, des argumentaires, des justifications différentes. Ces thèmes sont ceux de la préférence nationale, la restauration de l’Etat fort, autoritaire et souverain, la restauration d’une morale intransigeante, l’usage prioritaire de la répression, notamment par l’usage de la force physique et armée, la lutte contre l’insécurité civile et l’immigration. A cela s’ajoute la thèse de la distinction ami/ennemi (K.Schmitt), c'est à dire cette tendance à désigner des ennemis intérieurs et extérieurs, comme boucs émissaires responsables de tous les maux de la société ; ainsi que l’usage d’une rhétorique républicaine populiste et contestataire voire révolutionnaire, en guise de stratégie de mobilisation, en vue de restaurer un république de petits propriétaires, contre la coalition d’une oligarchie de technocrates et de grands capitalistes prétendument apatrides. Certains groupes mobilisent à cet effet l’imaginaire du complot (judéo-maçonnique, illuminatis, lords anglais, etc.).
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